Nous avons subi une défaite sans avoir la guerre…


Auteur : Winston Leonard Spencer Churchill (30 novembre 1874 - 24 janvier 1965)


Date : 5 octobre 1938


Contexte historique :

Telles sont les paroles prononcées par le parlementaire Winston Churchill lors d'un discours devant les Communes (le parlement anglais), le 5 octobre 1938, soit quelques jours après les accords signés à Munich par les Alliés franco-anglais d'une part et l'Entente italo-allemande d'autre part.

Après l'annexion de l'Autriche (Anschluss) en mars 1938, Hitler lorgne vers la Tchécoslovaquie et plus particulièrement la Bohème où vivent les Sudètes, une minorité de langue allemande qui souhaite son autonomie. Le 26 septembre 1938, après une tentative manquée de coup d'état dans les Sudètes, Hitler adresse un ultimatum à la Tchécoslovaquie ; il y réclame l'annexion des Sudètes et le départ des Tchèques qui habitent cette région.

Le Président du Conseil français, Edouard Daladier, et le Premier Ministre Britannique, Neville Chamberlain, tous deux alliés des Tchécoslovaques, refusent dans un premier temps de céder aux exigences d'Hitler et se déclarent prêts à la mobilisation et à la guerre contre l'Allemagne. A l'initiative de Mussolini, une tentative de conciliation a lieu à Munich ou se réunissent les 29 et 30 septembre 1938 les 4 grandes puissances (l'URSS et la Tchécoslovaquie ont été écartées). Elles sont représentées par Daladier, Chamberlain, Mussolini et Hitler.

Lors de cette conférence, Daladier et Chamberlain finissent par céder aux revendications d'Hitler, pour retarder la guerre que leurs peuples rejettent dans une grande majorité, mais aussi par mauvaise connaissance du dossier. L'accord est signé le 30 septembre à 1h30 : les Sudètes sont rattachées à l'Allemagne ; Daladier et Chamberlain ont tout juste obtenu que l'invasion de la Bohème par les soldats allemands soit légèrement différée : elle sera échelonnée entre le 1er et le 10 octobre pour laisser le temps aux Tchèques de quitter la région...

Au retour de Munich, les populations anglaise et française se réjouissent et acclament leurs représentants. A Paris, pourtant, Edouard Daladier semble sceptique sur le résultat de cette conférence. Devant l'enthousiasme de la foule réunie sur l'aéroport du Bourget à son retour, il aurait prononcé cette phrase en aparté : "Ah les cons, s'ils savaient !". En Grande-Bretagne, Winston Churchill s'oppose fermement à la conduite de Chamberlain et prononce un discours à la tribune des Communes :

"[...] Je vais commencer en disant la chose la plus impopulaire et la plus indésirable [...], ce que tout le monde voudrait oublier ou faire semblant de ne pas voir, mais qui doit néanmoins être cité, à savoir que nous avons subi une défaite cinglante et totale, et que la France a à en souffrir peut-être plus que nous [...].

Tout est fini. La Tchécoslovaquie muette, triste, abandonnée et brisée s'enfonce dans les ténèbres [...].

Nous sommes en présence d'un désastre de première grandeur qui s'est abattu sur la Grande-Bretagne et la France. Ne nous laissons pas aveugler. Il faut maintenant se rendre à l'évidence que tous les États d'Europe centrale et orientale vont chercher à s'entendre dans les meilleures conditions possibles avec la puissance nazie triomphante. Le système d'alliances en Europe centrale sur lequel la France a fondé sa sécurité a été balayé, et je ne vois pas par quel moyen il pourrait être restauré [...].

La route qui va du Danube à la Mer Noire, les réserves de céréales et de pétrole, ce chemin qui va jusqu'à la Turquie a été ouvert.. En fait, il me semble que tous les pays d'Europe centrale, tous les pays danubiens vont être attirés dans cette vaste sphère d'influence, dans le cadre d'une stratégie non seulement militaire, mais aussi économique, dirigée par Berlin, et je pense que tout ceci peut être accompli en douceur et de manière discrète, peut-être même sans avoir à tirer un seul coup de feu.

Nos concitoyens dévoués et courageux [...] devraient savoir que nos défenses ont été singulièrement négligées et qu'elles souffrent de faiblesses ; ils devraient savoir que nous avons subi une défaite sans guerre, dont les conséquences nous accompagneront loin sur notre chemin [...], alors que tout l'équilibre de l'Europe a été bousculé, et [ils devraient savoir] que des paroles terribles ont été prononcées jusqu'à présent contre les démocraties occidentales : "Tu ne fais pas le poids".

Ne croyez pas que c'est la fin. C'est seulement le commencement du jugement, la première gorgée, le premier avant-goût d'une coupe amère qui nous sera tendue année après année, à moins que dans un suprême rétablissement de notre santé morale et de notre ardeur guerrière, nous nous relevions et combattions pour la liberté comme par le passé".

Ce qui donne en version originale :

"[...] Having thus fortified myself by the example of others, I will proceed to emulate them. I will, therefore, begin by saying the most unpopular and most unwelcome thing. I will begin by saying what everybody would like to ignore or forget but which I must nevertheless be stated, namely, that we have sustained a total and unmitigated defeat, and that France has suffered even more than we have [...].

All is over. Silent, mournful, abandoned, broken, Czechoslovakia recedes into the darkness [...].

We are in the presence of a disaster of the first magnitude which has befallen Great Britain and France. Do not let us blind ourselves to that. It must now be accepted that all the countries of Central and Eastern Europe will make the best terms they can with the triumphant Nazi Power. The system of alliances in Central Europe upon which France has relied for her safety has been swept away, and I can see no means by which it can be reconstituted [...].

The road down the Danube Valley to the black Sea, the resources of corn and oil, the road which leads as far as Turkey, has been opened. In fact, if not in form, it seems to me that all those countries of Middle Europe, all those Danubian countries, will, one after another, be drawn into this vast system of power politics - not only power military politics but power economic politics -- radiating from Berlin, and I believe this can be achieved quite smoothly and swiftly and will not necessarily entail the firing of a single shot.

I do not grudge our loyal, brave people, who were ready to do their duty no matter what the cost, who never flinched under the strain of last week. I do not grudge them the natural, spontaneous outburst of joy and relief when they learned that the hard ordeal would no longer be required of them at the moment; but they should know the truth. They should know that there has been gross neglect and deficiency in our defences; they should know that we have sustained a defeat without a war, the consequences of which will travel far with us along our road; they should know that we have passed an awful milestone in our history, when the whole equilibrium of Europe has been deranged, and that the terrible words have for the time being been pronounced against the Western democracies : "Thou are weighed in the balance and found wanting".

And do not suppose that this is the end. This is only the beginning of the reckoning.This is only the first sip, the first foretaste of a bitter cup which will be proffered to us year by year unless by a supreme recovery of moral health and martial vigour, we arise again and take our stand for freedom as in the olden time."

Quelques temps après, Winston Churchill écrit encore : "Ils ont eu le choix entre le déshonneur et la guerre ; ils ont choisi le déshonneur, et ils auront la guerre".

Encouragé par la passivité des Alliès, Hitler violera les accords de Munich dès mars 1939 en envahissant le reste de la Tchécoslovaquie...



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Valentin Daucourt