Vous êtes de la merde dans un bas de soie !


Auteur : Napoléon (15 août 1769 - 5 mai 1821)


Date : 28 janvier 1809, dans le cabinet de travail du chateau de Saint-Cloud


Contexte historique :

Ces mots ont été adressés par Napoléon à son grand chambellan Talleyrand qu'il soupçonnait de trahison.

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (1754-1838) travaersa au cours de sa carrière politique cinq régimes successifs. Fils aîné de grande noblesse, il fut déchu de son droit d'aînesse à cause de son pied-bot. Orienté alors vers les Ordres, il devient évêque d'Autun et est élu député du clergé aux Etats-Généraux en 1789. Signataire de la Constitution Française décrétée par l'Assemblée Nationale en 1791, grand artisan de la confiscation des biens du clergé, il décide de s'exiler en Angleterre en 1792 pour échapper à la Terreur. A son retour en 1796, muni d'un passeport fourni à son départ par Danton, il échappe à la mort qui est réservée aux Emigrés. Ministre des Relations Extérieures du Directoire en 1797, il contribue par la suite au coup d'état du 18 brumaire (19 novembre 1799) qui voit l'accession au pouvoir de Napoléon Bonaparte. Nommé par celui-ci Ministre des Affaires Extérieures, il devient grand chambellan en 1804, puis est fait Prince de Bénévent (petite principauté prise au Pape) en 1806.

Toutefois, malgré l'admiration qu'il porte au génie de Napoléon, Talleyrand sent que l'empereur ne pourra résister bien longtemps à l'Autriche et au reste de l'Europe coalisée. Fin septembre 1808, lors de l'entrevue d'Erfurt entre Napoléon et le Tsar Alexandre Ier, Talleyrand rentre en contact secret avec le Tsar et lui conseille de refuser les propositions d'alliance de Napoléon pour se rapprocher plutôt des Autrichiens de l'empereur François II. Puis, rentré en France, il intrigue avec Fouché et Murat notamment, afin de préparer la succession de Napoléon Ier.

Napoléon, apprenant cette trahison, convoque un Conseil restreint auquel participent le samedi 28 janvier l'archichancelier Cambacérès, l'architrésorier Lebrun, le Ministre de la Marine Decrès, le Ministre de la Police générale Fouché et Talleyrand. Devant les autres, il prend à parti Talleyrand, l'insulte et finit par lui dire, lui reprochant ses trahisons malgré son grand raffinement :

"Vous mériteriez que je vous brisasse comme un verre, j'en ai le pouvoir mais je vous méprise trop pour en prendre la peine. Pourquoi ne vous ai-je pas fait pendre aux grilles du Carrousel ? Mais il en est bien temps encore. Tenez, vous êtes de la merde dans un bas de soie !"


Le lendemain, Talleyrand perd sa fonction de grand chambellan, mais conserve sa place au Conseil. Dorénavant, il traîte ouvertement avec la maison d'Autriche dont il devient l'espion, par l'intermédiaire de l'ambassadeur autrichien à Paris, Metternich.

En 1814, Talleyrand se rapproche des Bourbons. Après la chute de Napoléon, il est nommé Ministre des Affaires Etrangères par Louis XVIII. Ecarté du pouvoir, il servira encore la cause de Charles X puis de Louis-Philippe, notamment dans leurs relations avec l'Angleterre.

On voit ainsi que les paroles de Napoléon n'étaient pas usurpées. Les incessants revirements de cette incarnation de l'Ancien Régime (il était surnommé le Prince de "bien au vent"...), qui avait traversé cette période violente et mouvementée de l'histoire de France tout en restant dans les hautes sphères du pouvoir, méritait bien cette diatribe. François-René de Chateaubriand le reconnait aussi, dans ses Mémoires d'Outre-Tombe (livre 23, chapitre 20), lorsqu'il décrit l'arrivée des régicides Talleyrand et Fouché dans les appartements du roi, après l'avènement de Louis XVIII en 1815, et la décision de ce dernier de les rappeler auprès de lui :

"Tout à coup une porte s'ouvre : entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand marchant soutenu par M. Fouché."




Retour au sommaire


Valentin Daucourt