Auteur : Emmanuel Joseph Sieyès, dit l'Abbé Sieyès (3 mai 1748 - 20 juin 1836)


Date : janvier 1789


Contexte historique :

Entré dans les ordres sans réelle conviction, Sieyès devient vicaire général de Chartres en 1787. S'intéressant beaucoup aux problèmes sociaux et à la misère des paysans, il décide de se rendre à Paris en 1788 et de publier plusieurs brochures où il expose ses théorie et ses espoirs pour l'avenir : Vues sur les moyens d'exécution dont les représentants de la France pourront disposer, puis un Essai sur les privilèges où il fustige les deux ordres privilégiés que sont la Noblesse et le Clergé, et enfin Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? La plus célèbre de ces brochures est rédigée fin 1788, alors que se préparent les prochains Etats-Généraux, et est publié au début du mois de janvier 1789.

Le plan exposé par Sieyès dans cette brochure est resté célèbre, du moins dans sa première partie, où l'auteur répond à trois questions principales :

1 - Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? - Tout.
2 - Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique ? - Rien.
3 - Que demande-t-il ? - A être quelque chose.

La seconde partie permet à Sieyès de préciser ses objectifs pour l'avenir :

4 - Ce que les ministres ont tenté et ce que les privilégiés eux-mêmes proposent en sa faveur.
5 - Ce qu'on aurait du faire.
6 - Enfin ce qui reste à faire au Tiers pour prendre la place qui lui est due.

Dans la première partie du libelle, Sieyès s'attache donc à définir ce qu'est le Tiers-Etat, et notamment en fonction de son utilité sociale. Les membres du Clergé et de la Noblesse n'ont pour Sieyès aucune utilité sociale (les nobles n'ayant pas le droit d'exercer de profession, hormis celle concernant le négoce maritime ou la soufflerie de verre). Tous les travaux étant supportés par le Tiers, que ce soit les travaux des champs, les travaux industriels, les travaux commerciaux ou les autres "travaux particuliers et des soins directement utiles ou agréables à la personne", Sieyès décrit le Tiers comme étant toute l'utilité sociale.

Il démontre ensuite que le Tiers-Etat ne représente rien dans l'ordre politique. Parmi les 25 millions de Français que compte le Royaume de France à la veille de la Révolution, les Nobles sont entre 300000 et 400000, et les membres du Clergé sont environ 150000. Les privilégiés ne représentent donc pas plus de 2% de la population française. Ce sont pourtant eux qui ont tous les pouvoirs.

Sieyès décrit ensuite ce que le Tiers demande à être : quelque chose. Représentant la quasi-totalité de la population, il apparaît inadmissible que le Tiers-Etat soit si peu représenté aux Etats-Généraux, d'autant plus que les décisions de cette assemblée se sont prises jusqu'à cette date grâce au vote par ordre (chacun des ordres représente une voix, ce qi donne deux voix aux privilégiés contre une au Tiers-Etat. Sieyès demande trois choses : des représentants du Tiers qui soient vraiment issus de cet ordre, un nombre de représentants égal à celui des deux autres ordres ensemble, et enfin le vote par tête et non plus par ordre.

Dans la deuxième partie de la brochure, Sieyès commence par faire le bilan de ce qui a été tenté jusqu'alors pour donner au Tiers-Etat la place qu'il mérite.

Dans l'avant-dernier chapitre, Sieyès expose ce qu'on aurait du faire. Il préconise la réalisation d'une Constitution. Celle-ci doit émaner de la Nation, et non pas des Etats-Généraux, qui "sont incompétents à rien décider sur la Constitution".

Enfin, le dernier chapitre expose ce qui reste à faire. L'idée forte de l'Abbé Sieyès est la suivante : le Tiers-Etat doit constituer une Assemblée Nationale, en dehors des Etats-Généraux, et sans les deux ordres privilégiés que sont la Noblesse et le Clergé, qui sont extérieurs à la Nation.

Ces idées "révolutionnaires" vont faire grand bruit, créant une véritable secousse dans l'opinion publique, et provoquant l'émotion de la Cour. Des dizaines de milliers d'exemplaires de Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? vont être vendus, obligeant l'éditeur à faire quatre éditions, les trois premières anonymes et la dernière étant enfin signée par Sieyès. Les idées exposées dans cette brochure préfigurent ce qui se passera en France quelques mois plus tard.

L'Abbé Sieyès, écarté par le Clergé, sera finalement élu député du Tiers-Etat à Paris pour les Etats-Généraux qui débutent le 5 mai 1789. Il sera avec le Comte Mirabeau un des fers de lance de son ordre (il est notable que le premier est issu du Clergé et le second issu de la Noblesse, contrairement à ce que souhaitait Sieyès lui-même dans sa brochure), étant à l'origine de la réunion des trois ordres aux Etats-Généraux (qui se fera finalement le 27 juin 1789), de la constitution d'une Assemblée Nationale le 17 juin 1789 et du serment du Jeu de Paume le 20 juin 1789 (serment de "ne jamais se séparer(...) jusqu'à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides"). Son manque d'éloquence l'empêcheront de jouer les premiers rôles dans les années suivantes, mais ce rôle limité lui permettra de traverser cette période difficile sans encombre ("J'ai vécu"), puis de devenir Directeur et de mettre fin à la période révolutionnaire en 1799 en appelant Napoléon Bonaparte ("Je cherche une épée") et en l'aidant pour le coup d'état du 18 brumaire.



Retour au sommaire


Valentin Daucourt